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Les Karen sont le plus important groupe tribal installé en Thaïlande. Les habitants de Kanchanaburi les nomment Karyang 1., et les Thaïlandais du Nord les appellent Yang.
On dénombre en Thaïlande deux groupes principaux de Karen, les Sgaw (ou S’Kaw) et les Pwo ainsi que deux groupes moins importants, les Pa O (Taungtu ou Tongsu) et les Kayah (Karenni ou Bwe).

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Introduction

En 2003 on recensait en Thaïlande, 438 131 personnes appartenant aux Karen en 2003, reparties en 1912 villages.

Les Pwo vivent dans le delta de l’Irrawaddy (Pwo occidentaux) et dans les mêmes régions frontalières que les Sgaw (Pwo orientaux), environ un million en Birmanie et cinquante mille en Thaïlande.

À la suite [des guerres entre la Thaïlande et la Birmanie->], le roi Rama I (1782-1809) a encouragé l’installation de Môn et de Karen dans la région de Sangkhlaburi.

Une histoire tragique

Dès leur arrivée en Thaïlande, les Karen reçurent du gouverneur de Kanchanaburi le droit de rester sur le territoire thaïlandais et il attribua  à leur chef vassal des titres de noblesse royaux : phra si sawan ou khun 2)  d’une enclave karen, qui correspondait à l’actuel district de Sangklaburi au sein duquel furent établis les premiers villages karen, aujourd’hui abandonnés et devenus un sanctuaire. Pendant près de cent-cinquante ans, sept générations de chefs karen se succédèrent dans la fonction de phra si sawan. Cette période d’alliance constitue l’apogée des relations entre Thaï et Karen. Ces derniers eurent non seulement un rôle prépondérant dans le contrôle de la frontière ouest du pays, mais participèrent à la vie politique de la province et contribuèrent à la croissance économique de cette région. Vivant dans un environnement jugé par les Thaï peu productif et inhospitalier, les Karen étaient exempts de taxes, d’impôt et de conscription. Grâce à ces avantages et à leur bonne gestion du milieu forestier, les Karen fournissaient aux commerçants et à la noblesse Thaï les tissus de coton, les produits forestiers, les épices, l’ivoire, les métaux précieux et des essences sylvicoles rares. Plusieurs rois de Bangkok (Rama Ier, III et V) 3, visitèrent successivement des villages karen proches de la passe des Trois Pagodes [efn_note] Le col des Trois Pagode (ด่านเจดีย์สามองค์ – dan chedi sam ong) est situé 282 m d’altitude dans les monts Bilauktaung , frontière naturelle entre le sud de la Birmanie et la Thaïlande. Les monts Bilauktaung constituent le massif le plus élevé de la chaîne du Tenasserim. Le col relie la ville birmane de Payathonsu à la ville thaïlandaise de Sangkhlaburi. C’est la route terrestre principale entre l’État karen en Birmanie et l’ouest de la Thaïlande. Le bouddhisme a pénétré au IIIe siècle dans l’actuelle Thaïlande par cette passe.
[/efn_note]... Ces visites avaient un caractère exceptionnel car la monarchie thaïlandaise de l’époque faisait du roi un être divin qu’aucun de ses sujets ne pouvait approcher, ni même regarder en face. Il semble que vers la fin du XIXe siècle plusieurs facteurs poussèrent l’entourage de Rama V à le mettre en garde contre les Karen. À la même époque une succession d’épidémies de variole décimèrent les Karen montagnards de Sangklaburi, et la plupart des villages situés en forêt furent abandonnés. Certains Karen retournèrent alors en Birmanie, d’autres trouvèrent refuge dans les villes et un troisième groupe descendit s’installer dans la vallée de Sangklaburi. Ces mouvements de population vers les basses terres et la Birmanie, ainsi qu’un quiproquo sur le rôle joué par un bataillon de soldats karen lors d’un conflit frontalier entre Anglais et Thaï, conduisit l’administration thaïlandaise à nommer un fonctionnaire thaïlandais à la tête de l’enclave karen, le titre de Phra Si Sawan devenant purement honorifique aux yeux des Thaï.

La région nord-ouest de la province de Kanchanaburi, où se trouvent la majorité des implantations karen pwo, a été d’une grande importance dans les relations birmano-thaï depuis le XVIe siècle. C’est une zone montagneuse très accidentée, couverte de forêt primaire, et difficile d’accès où les vallées de trois cours d’eau permettent le passage d’un pays à l’autre. La passe des Trois Pagodes est située à une dizaine de kilomètres de Sani Pong, c’est par là qu’ont transité les armées thaï et birmanes lors des multiples guerres qui opposèrent les deux royaumes, c’est aussi une route commerciale utilisée depuis plus de mille ans. Le contrôle de cette passe, tant du côté thaï que birman, n’est efficace que depuis moins de dix ans. Les frontières terrestres ont toujours posé des problèmes à la Thaïlande, qui a souvent utilisé les minorités montagnardes pour le contrôle de ces zones. Dans le secteur qui nous intéresse, les Karen ont assumé cette fonction en occupant une zone tampon particulièrement perméable où leurs antagonismes ancestraux vis à vis des Birmans en firent de précieux alliés du Royaume de Siam. C’est sans doute pourquoi, quand les Karen commencèrent à migrer en masse vers la Thaïlande aux alentours de 1750, le roi de Bangkok facilita leur installation à proximité de la passe des Trois Pagodes. Cette migration karen a suivi une longue période d’instabilité en Birmanie associée à une montée du nationalisme birman. Aux yeux des Thaï, ces Karen qui connaissaient la riziculture irriguée, étaient bouddhistes et possédaient une langue écrite avant de s’installer en Thaïlande, étaient beaucoup plus civilisés que ceux du nord de la Thaïlande qui ne pratiquaient que l’agriculture sur brûlis et étaient animistes. Cette supériorité agraire et religieuse ne remettait toutefois pas en cause l’identité karen des migrants, à savoir un style de vie, une perception du monde et des croyances communes à l’ensemble des Karen.

Les successeurs de Rama Ier ont poursuivi la même politique et incité les Karen, en majorité des Pwo, à immigrer, en Thaïlande, le long de la frontière depuis Tak jusqu’à Petchaburi. Rama IV joignit même le titre de Roi des Karen à ses nombreux autres titres royaux.

Rama Ier
Portrait du roi Bouddha Yodfa Chulaloke (Rama Ier), exposé dans la salle Chakri Mahaprasad du Grand Palais de Bangkok.

Rama V (1868-1910) parcouru la Siam. Il rendit visite à plusieurs colonies karen. À cette occasion il en fit des citoyens thaïlandais, payant des impôts, élisant leurs chefs de village et de sous-districts.
L’assimilation en fut facilité et rapide. Les Karen s’établissent dans les villes, sont scolarisés, entrent dans la police et l’armée, adoptent le bouddhisme et leur niveau de vie atteint celui des Thaïlandais. Certains font fortune en vendant des produits rares destinés à l’exportation tels que du bois précieux comme l’aquilaria 4), des cornes de rhinocéros, des défenses d’éléphant.

Vers la fin du XIXe siècle, l’entourage du roi Rama V le mis en garde contre les Karen et ce dernier infléchit sa politique, l’administration thaïlandaise nomma un fonctionnaire thaïlandais à la tête de l’enclave karen et de toutes les institutions de taille supérieures au village, le titre de Phra Si Sawan n’étant plus que purement honorifique.

Durant son règne des épidémies de variole décimèrent les Karen dans les montagnes de Sangkhlaburi. La plupart des villages forestiers furent abandonnés. Certains Karen retournèrent en Birmanie, d’autres se réfugièrent dans les villes et d’autres descendirent s’installer dans la vallée de Sangkhlaburi.
Il fallut que les Karen attendent près de quatre-vingts ans pour recevoir de nouveau la visite d’un roi thaïlandais. En 1976, Bhumiphol, l’actuel roi de Thaïlande, se rendit dans la région de Sangklaburi. Le but réel de cette visite était l’inauguration du Parc national de Thung Yay Naresuan, qui s’étend sur plus de 320 km2, et englobe la totalité des peuplements karen de la région6. Les villages karen localisés à l’intérieur du parc dans la province de Kanchanaburi, étaient isolés et bien moins nombreux que par le passé, et leur présence ne représentait pas une menace pour l’environnement, même si certains officiels du Ministère des Eaux et Forêts tentèrent d’utiliser cet argument pour chasser les Karen du Parc national.

Moins de dix ans plus tard, tous les villages karen de la vallée de Sangklaburi furent noyés par la mise en eau du barrage de Khao Laem Dam réalisé en 1984. Suite à cet ennoiement planifié, les habitants de ces villages, qui pratiquaient la riziculture irriguée depuis des décennies, furent contraints de se replier en zone forestière dans des villages karen de moyenne altitude. Cet afflux soudain et massif de nouveaux arrivants au sein de villages établis depuis une centaine d’année ne se fit pas sans heurts. Les parcellaires villageois se révélèrent exigus pour satisfaire les besoins accrus en terre cultivable; des oppositions, surtout entre deux styles de vie 5, éclatèrent. Comme c’est souvent le cas chez les Karen, on préféra le repli en forêt au conflit ouvert au sein des villages, dont souvent les territoires furent laissés aux nouveaux arrivants. Les autres choisirent de renouer avec les territoires de leurs ancêtres en s’installant à proximité des vestiges des premiers villages karen de la passe des Trois Pagodes. Pour les Karen il s’agissait bien, en effet, d’un territoire karen, façonné par l’Éléphant Blanc, colonisé et même karennisé par leurs ancêtres, et à ce titre ils pouvaient s’y établir de plein droit. Pour les autorités du Parc national et du Ministère, toute nouvelle installation humaine au sein du parc était illégale mais ces nouveaux villages furent tolérés à condition que les Karen se conforment aux règles du Parc national, peu compatibles avec leur mode de production : abattage d’arbre illégal, pas de commercialisation de produits forestiers, chasse et pêche interdites etc. Les Karen vivaient sous la menace permanente d’amendes, de peines de prison voire d’éviction du Parc national. La situation se détériora rapidement pour eux dans le nouveau contexte plus général de la protection de l’environnement affichée comme une des priorités du gouvernement thaïlandais. Aux yeux des Thaï, les populations montagnardes représentaient une menace directe pour l’environnement, et le gouvernement thaïlandais élabora une longue liste de villages devant être « délocalisés ». Les Karen du Parc national de Thung Yay Naresuan figuraient en priorité sur cette liste établie en 1988, année au cours de laquelle la cérémonie fut de nouveau célébrée.

Frustrations et désillusions

En moins de deux cents ans, les Karen passèrent donc d’une position privilégiée avec un rôle politique, économique et stratégique, à une situation précaire de groupe minoritaire qui fit d’eux des parias dans leur propre territoire. C’est dans ce contexte que s’amorça le renouveau messianique. Il y avait eu, par le passé, plusieurs périodes durant lesquelles des mouvements similaires étaient réapparus à la suite de désaveux des Karen par les Thaï : tout d’abord au début des années vingt, puis au milieu des années soixante, après la mise en place de la politique thaïlandaise destinée aux minorités montagnardes, c’est à dire à chaque fois qu’il y avait eu un refus de reconnaître la spécificité de l’identité karen et leur autonomie territoriale. Dans la province de Kanchanaburi, la mise en place des opérations de développement au sein des minorités date de la construction du barrage de Khao Laem. Dans un premier temps, les Môn, qui arrivés récemment de Birmanie, bénéficièrent des aides gouvernementales, ceci s’effectua au détriment des Karen qui, se sentant niés et rejetés, refusèrent par la suite de participer à plusieurs projets de développement 6
Leur attitude changea ultérieurement car il sembla aux leaders karen que la participation à des programmes gouvernementaux pouvait, dans une certaine mesure, permettre de sécuriser les implantations karen dans le Parc national et démontrer leur bonne volonté vis à vis de l’État. L’intervention initiale du gouvernement et des développeurs sur les populations môn correspondait à un choix qui pouvait se justifier, mais pour les Karen, il s’agissait d’une remise en question du mode de vie de leurs ancêtres au sein de leur territoire. Cette frustration est formulée par le chef cérémoniel karen du village de Sani Pong pour qui « les ancêtres Karen, nos ancêtres ont eu tort d’avoir raison« , il résume ainsi le paradoxe de leur situation : leurs ancêtres ont vécu en harmonie avec la forêt sans détruire l’environnement; depuis leur arrivée en Thaïlande ils ont respecté la nation thaï au point de combattre l’envahisseur birman ; certains d’entre eux avaient reçu, des princes thaïlandais, des titres de propriété pour les terres qu’ils occupaient. Aujourd’hui les Karen estiment n’avoir eu aucune reconnaissance de tout cela et sont les oubliés du développement, alors que les destructeurs de forêt (Hmong et Yao selon les Karen), installés depuis peu en Thaïlande qui ne respectent ni le pays, ni le roi, reçoivent des aides gouvernementales et même des titres de propriété pour des territoires qu’ils ont parfois volés aux Karen.

Des essarteurs écologiques

Dans l’ensemble des paysages peuplés des régions des hauts plateaux de Thaïlande, celui des Karen est immédiatement identifiable. Les plus hauts sommets sont occupés par la forêt primaire ou secondaire dense dominant des villages entourés de futaies et d’arbres fruitiers au creux de vallées d’altitude moyenne? Le village se trouve à proximité d’un cours d’eau et à l’abri des vents dominants.

Les essarts de l’année se démarquent des essarts en jachère où la végétation a repris le dessus et effacé les traces du travail humain sur les parcelles les plus anciennes. Le mode de vie Karen est devenu une référence pour beaucoup d’organisations environnementalistes en Thaïlande. Le mode de gestion des ressources de leur territoire par les Karen pourraient servir de modèle à une meilleure gestion de la biodiversité en milieu forestier. Le mode traditionnel d’utilisation du sol Karen a peu d’impact sur l’environnement,. Cependant on les confond avec différentes minorités montagnardes pratiquant l’agriculture sur brûlis ou essartage de manière nettement moins écologique.

L’essartage

Les Karen cultivaient la terre en pratiquant l’essartage.
L’essartage ou sartage ou essartement est le défrichement d’une parcelle de forêt pour sa mise en culture temporaire ou permanente. Les Karen cultivaient le riz en cultures non irriguées.
La perception du milieu, la notion de territoire et sa gestion par les Karen sont remarquables au point qu’ils sont souvent considérés comme essarteurs écologistes dans les zones qui ont pu conserver le style de vie traditionnel avant la construction des grand barrages de Vachiralonkon et de Sinakarin
La forêt secondaire est le royaume des Karen ; c’est leur territoire, un milieu à la fois amical et hostile, car c’est celui des divinités. Les Karen se considèrent comme les fils, les enfants de la forêt, pour eux une forêt sans Karen n’est pas une forêt véritable. Les Karen sont marginalisés dans la société thaïlandaise, menacés d’expulsion de leurs anciennes zones d’habitat notamment par la construction de barrages qui inondent leurs territoires. Ils sont donc de plus en plus fragilisés.
Dans l’ouest de la Thaïlande, dont font partie les districts de Thong Pha Phum et de Sangkhlaburi où les Karen ont colonisé des espaces vierges, la forêt primaire a reculé, mais il en reste plus que partout ailleurs en Thaïlande. Une partie de cette forêt est au stade du climax 7.

La sédentarité

Dans l’idéal le système Karen permet une autosubsistance en riz pluvial, et un éventuel complément en riz irrigué. C’est un système stable basé sur la sédentarité. Un territoire strictement délimité, l’emploi de méthodes de conservation des sols pour une production à long terme, s’imposent. Le système repose donc sur le maintien du rapport de la surface de terre arable sur la population stable. En cas d’augmentation démographique le paysan Karen doit réduire les jachères, ou bien utiliser des intrants pour augmenter la productivité, ce qui est contraire avec le principe de base du système Karen, durable à long terme seulement si la période de jachère permet la reconstitution d’une biomasse suffisante qui, une fois brûlée, fertilisera la parcelle. Si la durée de la jachère est raccourcie, la biomasse disponible diminue et la productivité est réduite. Le paysan est alors contraint d’utiliser des engrais pour améliorer les rendements, ce qui entraîne le risque d’une modification de la structure des sols.

Le système karen n’a pas une grande productivité, mais il permet une reforestation naturelle rapide rendant possible le cycle d’une façon quasi illimitée. Les Karen traditionnels, très au fait des techniques de conservation des sols et des risques de dégradation de l’environnement, étaient soucieux de préserver la qualité du domaine villageois, et agissaient en fonction.

Le rituel de l’Éléphant blanc

« Nous vivons ici depuis plus de 200 ans,
Sani Pong a été fondée en même temps que Bangkok.
Nous avons séjourné ici pendant très longtemps
et je m’attends à mourir ici.
Nous effectuons notre cérémonie à Lai Wa Bong
parce que nous croyons que c’est un lieu sacré  »
Bo Khu, chef cérémoniel Karen

Ce rituel est associé au mouvement Thelakhon apparu en Birmanie vers 1830 et initié par le premier Karen à devenir moine, il fut introduit dans la région de Kanchanaburi vers le début du siècle puis disparu en 1924 avec le dernier administrateur pwo karen. Une tentative de résurgence infructueuse se déroula dans le même secteur en 1964.

Durant quatre jours et quatre nuits, les Karen réaffirment une identité contenue dans un discours sur ce que c’est qu’être karen ; le lieu même où se déroule la cérémonie est hautement symbolique pour les Karen qui le perçoivent et le décrivent comme un sanctuaire de leur culture telle qu’elle était il y a plus de deux cent cinquante ans. On peut donc émettre l’hypothèse que les participants karen à cette cérémonie viennent s’imprégner des symboles et des éléments centraux à la culture karen. Cette affirmation identitaire est indissociable de la situation précaire dans laquelle se trouvent les Karen dans la province de Kanchanaburi. Il faut donc voir dans cet événement une dynamique identitaire qui permet aux Karen de marquer leurs différences vis à vis des Thaïlandais et d’exprimer leur désaccord par rapport à une politique qui les marginalise de plus en plus.
La cérémonie se déroule durant la phase de pleine lune du troisième mois lunaire; elle s’adresse aux Karen mais est ouverte à tout autre individu, qui a reçu l’approbation du chef cérémoniel, à condition de respecter les règles suivantes : porter des vêtements karen, consommer une alimentation végétarienne spécifique, ne pas boire d’alcool, ne pas avoir de relations sexuelles, ne pas s’adonner à des jeux de hasard, vivre dans une maison commune et ne s’exprimer qu’en karen à l’intérieur de l’espace cérémoniel.
Le chef cérémoniel a le titre de bo khu 8, il est assisté d’une douzaine de jeunes hommes célibataires qui vivent à ses côtés en permanence. Durant la cérémonie, il officie avec eux et l’assistance des chefs religieux de chacun des villages participants.
Le rituel rassemble des Karen dont la plupart vivent à proximité, mais d’autres viennent de districts lointains, voire de provinces voisines, et ont dû voyager plusieurs jours pour atteindre le lieu du rituel situé en forêt primaire. Ce site constitue le cœur d’un espace plus large, l’espace sanctuaire, sacré pour les Karen. On ne peut pénétrer dans le site qu’après avoir reçu l’autorisation du bo khu, à condition d’être nu pieds et d’avoir respecté les règles énoncées plus haut. Le site constitue le troisième cercle ou niveau (hong) de l’espace sanctuaire des Karen dédié à l’éléphant blanc. Avant d’accéder à ce troisième niveau, il est impératif de s’arrêter à l’entrée des deux précédents. Les entrées sont gardées par des jeunes Karen célibataires portant l’habit cérémoniel de la secte du Telakhon dont s’inspire la cérémonie. Ces portiers filtrent les entrées et invitent les visiteurs à procéder aux ablutions requises pour accéder dans l’enceinte de chaque niveau.
C’est dans le sanctuaire de l’éléphant blanc que se termine la cérémonie au soir du quatrième jour. Ce sanctuaire est appelé ainsi car une concrétion rocheuse est, selon les Karen, l’empreinte de l’Éléphant Blanc. Les mythes relatent, dans des versions différentes, l’histoire de cet éléphant blanc qui fut trouvé au plus profond de la forêt par sept frères karen peu après leur arrivée en Thaïlande. L’éléphant, après être resté avec eux pendant quelque temps, fut libéré par le frère cadet alors que ses aînés voulaient le garder pour le faire travailler. Après plusieurs pérégrinations au cours desquelles furent créés certains aspects du relief de la région, l’éléphant monta aux cieux et, depuis, y attend sa réincarnation. Il est important de préciser que ses apparitions sont souvent associées à celles de Bouddha, pour les Thaï, et qu’il symbolise, pour les Karen, la venue imminente d’Ariya ou Arrimetteya, le prochain Bouddha.
Les participants à la cérémonie sont groupés par village d’origine dans une longue maison commune. Cette structure d’habitation symbolise l’union des participants d’un même village durant le rituel, et commémore une forme d’architecture ancienne des Karen de Birmanie. La nourriture consommée durant la cérémonie est essentiellement végétarienne, elle est composée pour moitié de produits villageois (riz, fruits, légumes) et pour l’autre de produits forestiers (feuilles de fougères, baies, racines). Cette complémentarité village/forêt symbolise l’harmonie entre les deux, elle est centrale dans la perception karen du monde et dans le gestion de leur environnement. Elle est constamment rappelée durant toute la cérémonie soit par la nature des offrandes, soit par le contenu des prières, des chants ou des danses.
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Aujourd’hui

Les Pwo sont encore nombreux et leur culture est vivace dans les districts de [Thong Phaphum-/fete-de-phra-that-bo-ong-tambon-pilok.html] et de Sangkhlaburi..
Certains villages Karen sont situés au sein de territoires qui ont été utilisés depuis plus de 200 ans, chacun d’entre eux est entouré d’une zone de forêt primaire intacte qui peut atteint parfois quatre à cinq kilomètres.

La danse du dong , une manifestation culturelle d’origine pwo, jouait un rôle important dans le maintien des règles socio-culturelles de la communauté. Le dong mong yo , le style de danse traditionnel a disparu. Il est à l’origine dans les années soixante d’une nouvelle forme au rythme plus vif, dérivée du sa lu plong dong des Karen animistes, le yin kye mu dong ou culture dong, toujours très vivant.


Langue

– Famille linguistique : sino-tibétaine.
– Groupe linguistique : tibéto-birman.
– Branche linguistique : karenni
Les deux langues principales parlées en Thaïlande sont le sgaw et le pwo. Ces dernières sont très différentes l’une de l’autre. Il existe également de nombreux dialectes utilisant fréquemment des mots des langues birmanes, môn, shan et thaï.

Footnotes

  1. .Karyang – กะเหรี่ยง.
  2. Au début de la période bangkokienne, le terme « khun » désignait le dirigeant d’un kwaeng, une unité administrative supérieure au tambon (district) et inférieure au mueang (province)
  3. Rama Ier et Rama III semblaient même éprouver un réelle fascination pour les Karen, au point d’écrire des poèmes laudatifs de leur mode de vie et de se proclamer ami des Karen
  4. Aquilaria est un arbre tropical, parfois buissonnant, haut de six à vingt mètres) et présent dans le sous-étage forestier de forêts tropicales de Thaïlande. Les aquilarias sont éparpillés et le plus souvent sous la canopée.
  5. Les Karen installés dans les vallées avaient côtoyés les Thaï et les Môn en permanence alors que ceux des forêts vivaient en autarcie.
  6. . Des projets d’aviculture et de cultures maraîchères ont été rejetés par les moines karen et les chefs religieux des villages tests parce qu’ils étaient jugés incompatibles avec le mode de vie karen et assimilés à une intervention du monde thaï dans la vie du village.
  7. Dans le domaine de l’écologie, le climax désigne l’état final d’une succession écologique ; l’état le plus stable dans les conditions abiotiques existantes. C’est un état théorique ; en réalité différents stades de la succession écologique coexistent.

    Lorsque cet état est atteint, l’énergie et les ressources ne servent théoriquement qu’à maintenir cet état. Lorsqu’un biome atteint son développement climacique, on fait référence à la végétation en parlant de « végétation climacique ».
    Sans intervention humaine, une série de végétation évolue jusqu’à ce que l’écosystème soit dominé par un type de végétation stable, on parle alors de climax écologique
    La forêt de Daintree dans le Queensland australien est un exemple de climax en écologie forestière.

    Daintree Rainforest

    Dans le domaine de l’écologie, le climax (du grec κλῖμαξ, klĩmax, escalier, échelle, gradation) désigne l’état final d’une succession écologique ; l’état le plus stable dans les conditions abiotiques existantes. C’est un état théorique ; en réalité différents stades de la succession écologique coexistent.

    Lorsque cet état est atteint, l’énergie et les ressources ne servent théoriquement qu’à maintenir cet état. Lorsqu’un biome atteint son développement climacique, on fait référence à la végétation en parlant de « végétation climacique ».

    Sans intervention humaine, une série de végétation évolue jusqu’à ce que l’écosystème soit dominé par un type de végétation stable, on parle alors de climax écologique.

  8. Il s’agit d’une sorte d’ermite dont le nom bo khu signifie tête de village qui a remplacé les
    anciens prêtres villageois présents chez les Karen de Thaïlande.
  9. L’Éléphant blanc est très souvent associé à Bouddha, et il est censé avoir été le trésor du royaume dont Vessantara était l’héritier ; cet éléphant, qui était faiseur de pluies, assurait prospérité et harmonie.
    Dans la mythologie indienne, l’éléphant blanc est l’animal symbole d’Indra, qui par la suite est devenu un synonyme de pouvoir royal. Dans l’ouest de la Thaïlande il était et reste un symbole de puissance et de richesse des princes birmans et thaïlandais, pour qui la présence d’un éléphant blanc sur leur territoire était un don céleste qui légitimait leur autorité. C’est donc aussi un symbole politique du pouvoir sur un territoire donné. Selon certains textes thaï anciens, un éléphant blanc, qui faisait partie du tribut de guerre versé par les princes Thaïlandais aux Birmans, se serait égaré dans la forêt à proximité de la passe des trois pagodes au XVIe siècle.
    Pour les Karen de la région, cet Éléphant Blanc qui est apparu à sept frères karen puis a disparu, ne laissant que des empreintes comme trace de son passage (concrétion rocheuse sur le lieu du sanctuaire), est l’Éléphant Blanc de Arrimetteya qui est venu délimiter le territoire du futur Bouddha. Il est le gardien et le propriétaire du territoire, il a fixé les règles de conduite morale et écologique à respecter sur le territoire, et si les hommes le provoquent il peut montrer sa désapprobation en rendant le forêt silencieuse, ou en provoquant des inondations et des épidémies. Plusieurs villages karen ont déjà été déplacés à la suite d’épidémies et de cataclysmes naturels qu’il a provoqué mais dont les causes premières sont la mauvaise conduite des Karen sur le territoire (transgressions des tabous sexuels, alimentaires ou écologiques, élevage de canards pour la vente à l’extérieur, consommation d’alcool fabriqué à l’extérieur, femmes karen vivant avec des hommes thaï).
    Durant la saison des pluies 1991-92, une gigantesque inondation a causé de graves dégâts dans la région. Seul le sanctuaire a été épargné. Pour les Karen il s’agissait d’une manifestation du courroux de l’Éléphant Blanc contre les Thaï et contre la disparition des valeurs morales chez les jeunes karen, les deux principales menaces de la rupture d’harmonie entre les Karen et le territoire. L’Éléphant Blanc est bienveillant vis à vis des Karen, qui sont le peuple élu (ce sont des hommes de la forêt et ceux parmi lesquels il est apparu), mais cette position ne les dispense pas de respecter individuellement les règles qu’il a fixées. La venue de l’Éléphant était un signe précurseur. En apparaissant sur leur territoire, il a désigné les Karen comme les intermédiaires privilégiés entre le monde naturel et celui des hommes (sauvage/civilisé, vierge/cultivé), c’est à eux de montrer la voie, c’est à eux de maintenir l’harmonie et de perpétuer le contact avec l’Éléphant Blanc pour que le futur Bouddha renaisse parmi les Karen sur les lieux mêmes du
    sanctuaire.